LE COEUR AU VIF
Pourquoi est-ce si facile de décider pour nos jeunes enfants, mais si difficile de décider pour nos parents vieillissants ?
Je n’arrive pas à mettre mon pied à terre en ce qui concerne le bien-être de mes parents. J’oscille comme un réverbère pris dans la tempête. Cette indécision qui me martèle l’esprit, demandant action qui point ne vient.
Il y a cette vérité criante qui m’habite mais dont je veux taire la voix. Faire l’autruche, comme mes parents. J’ai l’impression parfois d’être le bourreau qui d’un coup de hache tranche leur vie, leur vie amoindrie par la vieillesse et, surtout, par l’indomptable : la maladie.
Je suis prise dans un tourbillon incessant d’émotions. J’ai peur de la mort : la leur ; la mienne. Je me rapproche de cette vieillesse redoutable. Je ne pense qu'à une chose : l’anéantir. Que de souffrances devons-nous endurer ! Mais pourquoi ? Pour revenir à ce petit grain de sable qui fut jadis un temple ?
Une douleur cuisante au cœur me sort de ma rêverie. Je n’ai plus qu’une seule idée. Fuir, fuir cette décision qui me foudroie du regard, implacable, cruelle. Assommée par son souffle aux vapeurs de chloroforme, j’entends à peine les balbutiements de mon cœur usé.
Respirer. Respirer cet air de liberté qui ne demande qu’à m’accueillir. Transcender l’anesthésie. Non. Impossible.
Remettre à demain cette décision qui me tue. Cœur fragile ; cœur immobile, paralysé par la hantise de se tromper. Naufragé en mon corps, inondé par l’écueil nauséabond du blâme. Macabre découverte. Et cette culpabilité qui accable jusqu'à l'esprit.
Je ne sais pas, je ne sais plus. La tristesse m’étouffe de ses longs doigts osseux. Je ne ressens presque plus rien.